Une rétrospective d’Emmanuel Moralès
Control + N, control + O, + R, + S ou + P, mais control toujours. Nous sommes si habitués à taper machinalement sur le clavier pour obtenir, que nous oublions que nous commandons, que nous sommes en contrôle de l’ordinateur. Et quand l’art numérique a vu le jour, le public a souvent confondu l’accoutumance de son usage quotidien avec la maitrise de l’outil gouvernée par l’irremplaçable intention artistique.
Emmanuel Moralès n’a jamais abdiqué au travail d’atelier. Ses premières peintures affichaient sa naturelle aisance technique. Cependant, l’héritage d’une longue et riche histoire de la peinture et les questionnements de validité qu’à ce moment elle occasionnait – « parce qu’on avait déjà tout fait » -, l’ont conduit à s’interroger sur la manière de la renouveler. Est-ce qu’il s’agissait de choisir entre abstraction et figuration ? Est-ce qu’il était question de choisir un nouveau sujet pour la peinture ou de revendiquer la qualité d’une image peinte par rapport à celle triomphante de la photo ou de la vidéo ? La réflexion sur « l’œuvre à l’époque de sa reproductibilité technique » avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Néanmoins, l’éventuelle perte de l’aura de l’art considérée par Benjamin, (en écho d’ailleurs à la fin de la contemplation de Duchamp) oblitérait le fait qu’au XIXème siècle, les médias traditionnels avaient bien réussi à réinvestir les progrès techniques au profit de leur conceptualisation.
Fort de ce constat, en 2007, Emmanuel Moralès prend possession de l’outil numérique pour désolidariser la peinture du poids d’un modèle à interpréter. D’abord ce sont les moyens plastiques isolés et proposés par « photoshop » qui ont été répertoriés (Traces numériques) pour ensuite être copiés et rendus par les moyens picturaux. Car, en effet, rien ne change au métier au moment de faire la peinture. C’est seulement le projet pictural qui s’enrichit par l’intérêt suscité par les multiples images immédiates et perçues sous tous les angles (Rubik’s cubes et verres à sirop) ou par les multiples façons d’intervenir sur les images de tableaux des autres (Cover). Puis, il a une série sur les paysages (Wilderness) qui dénote clairement le supplément de conceptualisation : les paysages composés sur « sketchup » particularisent la vision du paysage par une précision géométrique, par l’horaire de sa captation et par l’orientation du soleil. Dès lors, ce sont ces données et non l’image qui « fabriquent » la construction d’un paysage inexistant dans la nature.
De ces expériences, son travail a intégré la succession de versions comme un dispositif pour aiguiser le regard du spectateur. Une série récente de 2018 (Documents pour artistes, d’après Atget) révèle tout autant une curiosité documentaire que la signification de l’acquis numérique. Le document mentionné montre jusqu’à quel point le dialogue photographie/peinture était encore resté un échange de bons procédés, enchâssé dans le rôle utilitaire de la première et qui motive l’orientation de la deuxième vers l’autonomie de son médium. Quant au choix du numérique comme puits inépuisable d’images, à la fin des années 1990, il s’avère correspondre à un deuxième sursaut de la peinture devant l’évolution de la technique afin de se libérer du poids anecdotique qui la leste. Emmanuel Moralès s’explique : « Je suis parti d’une annonce que le photographe a publiée dans les journaux en 1892, proposant ses photos comme modèles pour les peintres de son époque. Utrillo, Picasso et d’autres lui en ont acheté… J’ai fouillé les collections en ligne du MOMA et sur 2000 clichés j’ai sélectionné une vingtaine d’images. Le tri s’est fait tout seul, sur des images qui ressemblaient déjà à des tableaux. Atget les proposait et je n’avais alors aucun remord à m’en emparer. Il restait à passer ce choix au filtre du numérique, et j’ai choisi de les frotter avec l’outil doigt, comme si je passais mon doigt dans de la peinture fraiche… Ces questions de peinture, de modèle, ne sont pas nouvelles, elles s’inscrivent plutôt dans une histoire qui se joue au delà du temps, et qu’il s’agit d’actualiser. »
Voilà une manière de faire honneur au « clrl + » : choisir. Dans toutes les versions de contrôler, le peintre a choisi celle de crtl + P, imprimer, car une fois que le choix est imprimé, la peinture commence et rappelle qu’en effet, elle est « una cosa mentale » (Leonardo Da Vinci).
Liliana Albertazzi
2020
© adagp – emmanuel moralès