A l’activité récurrente en peinture, couvrir et recouvrir, lui correspondent des lancinantes questions : qu’est ce que l’on veut révéler… une épaisseur, la surface recouverte, une matière…? Comme dans l’icône, les couches se superposent-elles pour donner naissance à l’image ou à la peinture d’un tableau ? Faut-il recourir à la figure pour peindre un tableau ? Et ainsi de suite… Les questions s’égrènent l’une après l’autre et le peintre doit bien s’armer de patience pour venir, sinon au bout, à une issue, lui permettant de comprendre la répétition quotidienne de son acte. Que recouvrir et comment ; quelle couleur et quelle forme ; pourquoi recommencer ?
L’inassouvissement de la question de la peinture convoque la complicité des philosophes ; abordant le dilemme dans l’élaboration de chaque concept, ils rassurent le peintre par leur inféodation à la devise « chemin faisant ». Emmanuel Morales peut se rasséréner, revisiter toutes les voies empruntées, les siennes comme celles des autres, afin de réactiver les circonstances mises à l’œuvre par le gérondif : c’est en marchant que le chemin se dessine et c’est en peignant que la peinture advient.
D’ autres peintres avant lui ont compris que pour accéder à la maîtrise, il faut d’abord en épuiser les ressources. Alors, il a commencé par épuiser la question de l’image dans les séries Pool, Lignes et champs, Le Rubik’s cube ; il a continué en faisant le tour des possibilités plastiques de la matière dans Traces et en abordant l’ordinateur, le parfait antidote à la tradition de la peinture, il s’abandonnera aux formes abstraites. L’outil informatique lui facilite une « rapidité d’exécution » et une « légèreté d’usage » qui permet de « rater, refaire, effacer ou dupliquer à volonté » et en même temps, l’analyse des faux pinceaux et d’autres faux attributs de la peinture proposés par « Photoshop » afin de « singer la peinture », l’on conduit à épuiser un catalogue des formes dessinées et « colorées » par ces moyens artificiels, puis projetées et peintes par aplats successifs du vrai pinceau.
Aujourd’hui, ce tour d’horizon l’a poussé à combiner les moyens technologiques avec un retour aux sources: souris à la main, il redessine et redécouvre les chefs d’œuvre de la peinture. En se restreignant à utiliser l’outil le plus sommaire du programme informatique, le pinceau à bout rond, il replonge dans les fondamentaux par le système le plus élémentaire, la copie, comme tant d’autres maîtres l’on fait avant lui. Le point commun entre un Mondrian, un Warhol, un Matisse, un Hockney, un Chuck Close et un Picasso reste l’aplat auquel lui même se consacre et réduisant au maximum les indices du transfert qu’il opère, il réinvestit la compréhension des lignes de force de chaque tableau choisi. Ainsi, au mot « copie », préfère-t-il désigner la série par celui de reprise dans le langage de la musique qu’il chérit : «Dans l’histoire du rock, il s’agit toujours des mêmes instruments, des mêmes accords et des mêmes chansons; en peinture aussi il s’agit d’une reprise, c’est pourquoi le titre de cette exposition est Cover, du nom des chanteurs réinterprétant les chansons des autres et qui, souvenir de vacances, s’affichaient sur les vieilles cassettes exhibées dans les stations services.»
Liliana Albertazzi, 2009
Texte de l’exposition Cover La Malterie, Lille
© adagp – emmanuel moralès