Paysages sans perspectives

Exposition collective, 2019, Galerie Frontière$, Hellemmes Lille, France

avec Thibault Cuisset, Claire-Jeanne Jézéquel et Hélène Marcoz, commissariat : Bernard Lallemand

Paysages sans perspectives

La représentation du paysage et de la nature dans la peinture est riche de toute une histoire. Il a longtemps été utilisé comme arrière plan avant de devenir le sujet principal de l’œuvre (1) et un genre à part entière. Ce genre va traverser les styles et les époques (2).

Filippo Brunelleschi est à l’origine de la promotion de la perspective, apparue durant la renaissance italienne. Sous l’influence de Masaccio et Piero de la Francesca elle devint un procédé d’atelier.

La perspective est un « trompe l’œil » qui utilise une illusion d’optique pour créer une 3ème dimension sur une surface plane.

L’abandon de la perspective s’est imposée à la fin du XIX ème et au début du XX ème siècle par l’intermédiaire de Gauguin, des Nabis puis des Fauves. La prédominance croissante de la couleur (3) sur le dessin dans le développement pictural et l’organisation chromatique du tableau a jetée les bases de la modernité. Tout comme l’œuvre de Paul Cézanne dont les paysages mettent au jour la structure profonde d’un site, la permanence d’un lieu et annoncent les recherches des peintres cubistes.

Avec des techniques différentes, il est intéressant de constater que les modalités de représentation du paysage aujourd’hui chez certains artistes rejoignent celles de la modernité du début du XX ème.

Un paysage sans perspective c’est un paysage qui n’a pas de point de fuite. Dans lequel le regard ne peut s’échapper. C’est le cas pour les réalisations présentées dans cette exposition.

Thibaut Cuisset (4) réalisait ses photographies à la mi-journée au moment où la lumière était au zénith, ce qui avait pour conséquence une absence d’ombres portées. Cette absence outre qu’elle « aplatissait » l’image, lui donnait un caractère étrange presque irréel.

Claire-Jeanne Jézequel réalise des dispositifs spatiaux avec des éléments plats en bois laqué ou brut. L’évocation d’un paysage minimaliste nous apparaît ici sans l’artifice de la perspective.

Emmanuel Morales travaille avec une technique hybride qui associe un dessin réalisé sur ordinateur avec une application 3D et la peinture sur toile. A la différence de Cézanne cette structure du paysage n’est pas réalisée sur nature mais dans l’atelier comme les paysagistes du XIX ème.

Hélène Marcoz présente une vidéo ou l’image projetée d’un plan fixe de paysage qui évolue partiellement de façon lente et subtile en fonction des saisons.

Dans les paysages que nous proposent ces artistes aucune présence humaine n’est visible. A quoi correspond cette absence ?

S’agit d‘une vision post-apocalyptique ? D’une funeste intuition ? D’une prémonition sur le devenir de notre planète ou le reflet de l’âme mélancolique de ces artistes ?

Bernard Lallemand, 2019

(1) Sous l’impulsion du peintre flamand Joachim Patinier,
(2) Parmi les grands maîtres du genre on peut citer : Nicolas Poussin, Jacob Van Ruisdaël, Rembrandt, Vermeer, Caspar David Friedrich, Théodore Rousseau, Constable, Turner, Claude Monet, Vincent Van Gogh, Paul Cézanne.
(3) Rappelons cette citation de Maurice Denis, chef de file des Nabis : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées »
(4) Thibaut Cuisset (1958/2017) est né à Maubeuge. Il était est l’un des représentants les plus importants du renouveau de la photographie de paysage en France.

©adagp – emmanuel moralès